Un plan d’action interfédéral LGBTI: pour qui et pour quoi?

103 signataires du monde associatif et académique

La semaine dernière, la secrétaire d’Etat à l’égalité des chances, Zuhal Demir (N-VA), a présenté à la presse un nouveau plan d’action interfédéral contre la discrimination et la violence à l’égard des personnes LGBTI (https://www.rtbf.be/info/belgique/detaiLla-police-et-la-justice-doivent-mieux-proteger-les-personnes­ lgbt?id=99l4960). Ce plan, préparé par le gouvernement fédéral et soumis aux entités fédérées, doit remplacer ceux adoptés en 2013 par le gouvernement Di Rupo sous la houlette de la ministre Joëlle Milquet, sans que leurs résultats aient été évalués. À l’inverse des plans précédents, qui avaient été élaborés avec de nombreux·ses acteur·rice·s et expert·e·s de terrain, celui-ci a été préparé dans le plus grand secret et soumis dans des délais très courts à quelques opérateurs associatifs et institutionnels. Il ne part pas des connaissances de terrain, produites par les associations et la recherche scientifique.

Si nous nous réjouissons de l’adoption d’un nouveau plan qui était effectivement nécessaire, nous nous inquiétons du contenu du document présenté. Loin d’être un plan daction intégré, il s’agit d’un chapelet de mesures brouillonnes et disparates, ne s’appuyant sur aucun budget et reposant de surcroît sur une lecture abusive des chiffres et une connaissance extrêmement partielle des recherches menées sur les questions « LGBTI » (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres ou Intersexes), tant en Belgique qu’à l’étranger. Loin d’être à l’écoute des résultats scientifiques, ce texte témoigne d’une instrumentalisation de la recherche à des fins partisanes. Pour ne prendre qu’un exemple, un rapport sur l’état de l’adoption en Fédération Wallonie­ Bruxelles, dirigé par plusieurs signataires de ce texte, fait l’objet d’un résumé caricatural sans lien avec l’objet de ce plan, qui défigure les résultats de cette recherche.

Le plan proposé est emblématique d’une politique d’égalité de droite, dont la N-VA s’est fait le fer de lance

aux différents niveaux de pouvoir où elle peut gouverner. Il est d’ailleurs curieux de constater l’enthousiasme avec lequel ce parti s’est emparé des questions LGBTI alors qu’il se révèle plus frileux sur d’autres enjeux visant l’égalité et la liberté des individus, à commencer par le droit à l’avortement. Les attaques répétées de la N-VA contre les institutions en charge de l’égalité sont par ailleurs connues et les coupes budgétaires décidées par le gouvernement fédéral ont largement affecté les politiques d’égalité.

Au-delà d’un fatras de propositions (115 !), trois grands axes se dégagent du document adopté et nous invitent à réagir.

Premièrement, ce document propose une approche sécuritaire des enjeux LGBTI. Les chiffres proposés ont été clairement sélectionnés pour étayer une approche décidée en amont du processus et construisent l’image d’une population profondément vulnérable. Loin de contester les violences et discriminations nombreuses dont souffre toujours la population LGBTI dans notre pays, nous sommes préoccupé·e·s par la manière dont celles-ci sont analysées. Cette approche méconnaît en effet la capacité d’action et de résistance des personnes LGBTI. En outre, une approche répressive sans prévention ne pourra jamais s’attaquer aux racines des problèmes soulevés. Il faut au contraire une démarche globale visant un changement profond des structures, institutions, mentalités et comportements. Enfin, il convient de s’interroger sur les modes de production et de récolte des données citées, ainsi que sur la manière de les interpréter. Ainsi, une augmentation des plaintes nindique pas nécessairement une augmentation des violences réelles, mais peut aussi témoigner d’une meilleure connaissance des outils à disposition des citoyen·ne·s ou d’un meilleur fonctionnement des organes en charge du traitement des plaintes.

Deuxièmement, ce plan propose une politique raciste et homonationaliste. Ce document présente à plusieurs reprises la population musulmane comme particulièrement homophobe, sans plus de nuances. Une telle position pose question. D’une part, plusieurs des études citées montrent que les hommes ainsi que les personnes de droite sont moins tolérantes. Or, ces deux groupes ne sont jamais présentés comme des populations problématiques ou des cibles de politiques publiques. D’autre part, si ce texte abuse de chiffres pour étayer ce constat, il stigmatise un groupe spécifique, évoque peu les autres religions et ne tient pas compte de publications plus subtiles, comme le livre Queer Muslims in Europe: Sexuality_, Religion and Migration in Belgium, publié récemment par l’anthropologue Wim Peumans (KULeuven) et encensé par la critique internationale. Faut-il rappeler qu’Ihsane Jarfi, la première victime d’un crime homophobe reconnu par la justice belge, était lui-même musulman et fils d’un professeur de religion musulmane et que trois des quatre assassins étaient des « Belges de souche » ? Tout comme l’était le meurtrier de Jacques Kotnik, seconde victime dun crime reconnu comme homophobe en Belgique

Par ailleurs, si on peut se réjouir de l’intégration des questions LGBTI dans la politique internationale et de coopération au développement ainsi que dans la politique d’asile de la Belgique, les mesures proposées ne semblent pas intégrer les derniers développements sur le sujet, tels que recommandés par les Principes de Yogyakarta. En témoigne notamment l’utilisation du label identitaire « LGBTI’ problématique à l’échelle du globe, au lieu de la notion plus inclusive « OSIG/SOGI » (orientation sexuelle et identité de genre) recommandée au niveau international. De plus, au regard de l’importance accordée par le gouvernement à la place de la Belgique dans le classement annuel d’ILGA-Eu rope, on peut craindre une lecture messianique voire néoimpérialiste des enjeux LGBTI en politique internationale.

Troisièmement, au-delà de vagues déclarations de principe, ce plan n’intègre ni une lecture de genre, ni une démarche intersectionnelle. D’une part, alors qu’une approche intégrée du genre (gender mainstreaming, budgeting, etc.) est prônée dans les institutions publiques belges, ce plan ne prête aucune attention à la façon dont le genre module l’expérience de ces violences et discriminations. Les femmes lesbiennes et bisexuelles sont une nouvelle fois les grandes oubliées des politiques proposées, alors qu’elles souffrent de violences et de discriminations spécifiques. De plus, ce plan n’a clairement pas fait l’objet d’un test genrepourtant recommandé par le même gouvernement en vertu des engagements internationaux de notre pays. D’autre part, ce plan construit une image monolithique de la population LGBTI. S’il traite de manière spécifique des personnes trans et intersexuées, il n’envisage jamais la diversité interne de ces groupes.

Pourtant, les personnes LGBTI peuvent aussi être des femmes, des pauvres, des noir·e·s et/ou des musulman·e·sLa sérophobie est de plus, comme dans les plans précédents, totalement ignorée. Ce décalage est d’autant plus frappant que ces personnes prennent de plus en plus la parole sur le terrain et que nombre d’associations ont entamé une réflexion sur la diversité de leurs publics.

En conclusion, force est de constater que ce plan témoigne de l’absence d’écoute des actrices et acteurs de terrain. C’est un document d’arrière-garde qui privilégie certaines franges de la population LGBTI et oppose plusieurs populations discriminées. Il est largement obsolète et reposant sur des outils politiques d’un autre temps.

Liste des signataires:

  • Ursule Akatshi (administratrice de Unia)

  • Alberic Akiteretse (Why me)

  • Noura Amer (présidente d’AWSA-Be)

  • Adam Amir (ancien président du Cercle du libre examen, secrétaire de l’Institut de la mémoire audiovisuelle juive)

  • Fatma Arikoglu (ella vzw, kenniscentrum gender en etniciteit)

  • Arnaud Arseni (coordinateur de projets, Arc-en-ciel Wallonie)

  • Cécile Arthus (présidente du Centre d’action laïque du Luxembourg)

  • Oliviero Aseglio (porte-parole et chef de projets sociaux et interculturels, RainbowHouse Brussels)

  • Jean-Didier Bergilez (professeur, ULB)

  • David Berliner (professeur, ULB)

  • Fabienne Bloc (chargée de recherche EVRAS)

  • Clément Bogaerts (artiste, animateur socioculturel PAC)

  • Sarah Bracke (professeure, Universiteit van Amsterdam)

  • Emmanuelle Bribosia (professeure, ULB)

  • Fabienne Brion (professeur, UCL)

  • Marielle Bruyninckx (professeure, UMONS)

  • Annalisa Casini (professeure, UCL/administratrice de Sophia)

  • Carmen Castellano (secrétaire générale des Femmes prévoyantes socialistes)

  • Dimitri Cauchie (maître de conférence, UMONS)

  • Rose Charlier (chargée de projets à la Maison Arc-en-Ciel du Brabant wallon)

  • Jean-Michel Chaumont (professeur, UCL)

  • Caroline Closon (professeure, ULB)

  • Gily Coene (professeure, VUB)

  • Marie-Thérèse Coenen (conseillère pédagogique, UCL/administratrice de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes)

  • Marie-Ange Cornet (directrice du Centre d’action laïque du Luxembourg)

  • Dominique De Fraene (professeur, ULB)

  • Thierry Delaval (membre et fondateur d’Arc-en-Ciel Wallonie)

  • Edouard Delruelle (professeur, ULiege/ancien directeur-adjoint de UNIA)

  • Maïté De Rue (juriste)

  • Tom Devroye (coordinateur d’Arc-en-ciel Wallonie)

  • Maxime Debruxelles (coordinateur du Master interuniversitaire en études de genre)

  • Florence Degavre (professeure, UCL)

  • Katrien De Graeve (chercheuse, UGent)

  • Patrick De Neuter (professeur émérite, UCL)

  • Marthe Djilo Kamga (réalisatrice, cofondatrice de Massimadi)

  • Wannes Dupont (chercheur, Universiteit Antwerpen)

  • Nadia Fadil (professeure, KU Leuven)

  • Pascale Falek (conservatrice, Musée juif de Belgique)

  • Isabelle Ferreras (professeure, UCL)

  • Bénédicte Fonteneau (cofondatrice de Massimadi)

  • Koessan Gabiam (géographe, Massimadi)

  • Matteo Gagliolo (Professeur, ULB)

  • Nicole Gallus (professeure, ULB)

  • Claire Gavray (cheffe de travaux, ULiège)

  • Geoffrey Grandjean (chargé de cours, ULiège)

  • Nathalie Grandjean (chercheuse, personne de contact genre, UNamur)

  • Héloïse Guimin-Fati (chercheuse indépendante transféministe)

  • Marie Goransson (professeure, ULB)

  • Thomas Hendriks (professeur, University of Oxford)

  • Assaad Idrissi (cofondateur d’Omnya)

  • Dirk Jacobs (professeur, ULB)

  • Sophie Jacquot (professeure, Université Saint-Louis)

  • Hassan Jarfi (vice-président de la Fondation Jarfi)

  • Irène Kaufer (militante féministe)

  • Olivier Klein (professeur, ULB)

  • Jean-Michel Lafleur (professeur, ULiège)

  • Iman Lechkar (professeure, VUB)

  • Joël Le Déroff (PS en tous genres, administrateur de la RainbowHouse Brussels)

  • Jonatan de Lemos Agra (artiste, étudiant ULB)

  • Laurent Licata (professeur, vice-recteur à la politique de genre et de diversité, ULB)

  • Marie-Paule Lolo (militante féministe, ancienne présidente des Universités d’été euroméditerranéennes des homosexualités)

  • Vincent Louis (professeur, ULB)

  • Renaud Maes (rédacteur en chef de La Revue nouvelle/Université Saint-Louis)

  • Mike Mayné (président d’Ex œquo)

  • Patricia Mélotte (cheffe de projet du plan Diversité, ULB/administratrice de Garance)

  • Jeremy Minet (coordinateur du GRIS-Wallonie et Bruxelles)

  • Amal Miri (chercheuse, UGent)

  • Emilie Moget (chercheuse, UCL)

  • Myriam Monheim-Bensmaïne (psychologue et psychothérapeuteLGBTifriendly)

  • Carla Nagels (professeure, ULB)

  • Londé Ngosso (cofondateur de Genres Pluriels)

  • Max Nisol (membre fondateur de Genres Pluriels)

  • Nouria Ouali (professeure, ULB)

  • Christian Panier (juge honoraire, ex-enseignant UCL et ULB)

  • David Paternotte (professeur ,ULB)

  • Chris Paulis (docteur en anthropologie, ULiège)

  • Marcela de la Pefia Valdivia (chargée de mission au Monde selon les femmes/coordinatrice (fr) de la Marche mondiale des femmes-Belgique)

  • Charlotte Pezeril (professeure, Université Saint-Louis)

  • Antoine Pickels (professeur, ENSAV – La Cambre)

  • Valérie Piette (professeure, conseillère des autorités à la politique de genre, ULB)

  • Nadine Plateau (Conseil des femmes francophones de Belgique)

  • Aurore (Potalivo) Richardson-Todd (chercheuse, UCL)

  • Cyrille Prestianni (Maison arc-en-ciel de Liège, Alliàge)

  • Laurence Rosier (professeure, ULB)

  • Muriel Sacco (maîtresse de conférences, ULB et UMONS)

  • Caroline Sagesser (chercheuse, ULB)

  • Sarah Sepulchre (professeure, UCL/coprésidente de Sophia)

  • Véronique Servais (professeure, ULiège)

  • Eline Severs (professeure, VUB)

  • Koen Slootmaeckers (professeur, City University London)

  • Bernard Thiry (président de la Fondation Jarfi/professeur, ULiège)

  • Corinne Torrekens (professeure, ULB)

  • Barbara Truffin (professeure, ULB)

  • Cécile Vanderpelen-Diagre (professeure, ULB)

  • Tania Van Hemelryck (professeure, conseillère du recteur à la politique de genre, UCL)

  • Mieke Verloo (professeure, Radboud Universiteit Nijmegen)

  • Pascale Vielle (professeure, UCL)

  • Geneviève Warland (chargée de cours UCL)

  • Stéphanie Wattier (chargée de cours, UNamur)

  • Monique Weis (professeure, ULB)

  • Sophie Withaecx (coordinatrice RHEA, VUB)

  • Xavier Wyns (Ecolo Nous Prend Homo)

  • Irene Zeilinger (directrice de Garance)

Pin It on Pinterest